Un vent de panique souffle sur Paris depuis quelques semaines : l’affrontement VTC vs taxi va-t-il se finir un jour ? Le gouvernement a-t-il pris la mesure des changements de l’économie ? Et plus encore : le pouvoir peut-il encadrer cette nouvelle économie ? Manuel Valls a laissé le député Pascal Terrasse répondre à ces questions. Nous avons étudié les réponses.

L’économie collaborative, néologisme galvaudé qui recouvre une diversité d’économies radicalement différentes. Voyez plutôt : on applique cette formule au gain que vous avez fait en vendant votre sac Hermès sur Vestiaire Collective ainsi qu’au le loyer de votre Airbnb. On y inclue même Uber. Pourtant, le seul point commun de ces secteurs demeure  l’absence de salariat et l’utilisation de biens communs.

« L’économie collaborative ce n’est pas l’uberisation. » Ainsi commence la définition par le député Terrasse du sujet de son rapport. L’objection principale se situe sur le terrain de valeurs, notamment par rapport à Uber — car si les modèles peuvent avoir d’apparentes similitudes, les valeurs portées par les différentes entreprises et associations sont radicalement différentes. Ainsi va-t-on trouver à l’origine de l’économie collaborative des pensées alternatives au capitalisme : de décentralisation de l’économie et de sortie de la professionnalisation des activités au profit d’une solidarité organisée par le partage d’un moyen de production.

Pourtant, aujourd’hui, la plupart de ces modèles s’inscrivent dans une forme classique du capitalisme et de l’entreprise qui cherche le profit. En cela le rapport est lucide : l’économie collaborative n’est pas tant une révolution économique qu’une évolution d’un mode de consommation. L’émergence du BonCoin ne fait pas que remplacer les brocantes, mais intègre plus fortement dans les modes de consommation l’utilisation des produits de seconde main.

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On ne peut donc pas estimer qu’on est en face d’un épiphénomène dont l’essoufflement ralentira le besoin d’apporter rapidement des réponses aux secteurs concernés. Premièrement parce qu’il y a très peu de chances qu’Internet s’éteigne demain et deuxièmement, parce que l’offre répond à une demande croissante dans les secteurs concernés.

De plus, il faut bien voir l’essor de l’économie collaborative comme un nouveau rapport à l’argent : dans nos sociétés où le pouvoir d’achat se stabilise, le consommateur tend à dépenser moins pour plus de services et de biens. Notons d’ailleurs que l’économie collaborative préexistait à internet, comme le souligne le rapport : brocantes et jardins collectifs ne sont pas particulièrement récents. Les secteurs touchés jusqu’à présent ne sont pas encore nombreux, mais comment ne pas imaginer que d’autres seront à l’avenir concernés ?

L’économie collaborative en pratique

Voilà pour la partie théorique, toujours utile à lire quand on voit la main tremblante avec laquelle Matignon traite le dossier opposant les taxis aux VTC. Par ailleurs, si le rapport s’avère d’un véritable intérêt dans la période que nous traversons actuellement, il devient de plus en plus évident que la fin du quinquennat ne contiendra pas de grandes réformes de l’emploi permettant  un changement de modèle pour insérer les pouvoirs publics dans une dynamique de structuration et régulation. Après la discrétion de la ministre El Khomri sur le rapport de Benoit Thieulin sur le salariat et la confirmation dans les couloirs de Bercy qu’il n’y aura pas de loi Macron 2,  le vent des réformes s’essouffle.

Un courage qui démoralise déjà les protagonistes du conflit « Uber » ; si certains n’y voient que la désuétude du modèle économique des taxis, on devrait plutôt le considérer comme le premier conflit de transition entre l’économie d’avant et celle d’après. Rappelons que d’un point de vue social, l’urgence est déjà là, que ce soit celle des employés des secteurs heurtés par l’économie collaborative ou ceux qui profitent de son essor. Les premiers sont touchés par une perte de chiffre d’affaires et les seconds par l’absence de dispositifs sociaux adaptés.

L’urgence est déjà là, que ce soit celle des employés des secteurs heurtés par l’économie collaborative ou ceux qui profitent de son essor

Sur ce sujet, le rapport tend à une certaine clarification, en désignant déjà les professionnels dont plus de 50 % du revenu provient d’une activité collaborative et les utilisateurs plus occasionnels. Le rapport incite à une taxation des plateformes directement par Bercy et le renouveau du système de cotisations sociales pour les professionnalisés qui n’ont aujourd’hui qu’accès au dispositif Madelin, peu efficace socialement. Mais le rapport est déjà mis de côté sur les propositions fiscales, Christian  Eckert, secrétaire d’État au budget, déclarait ce matin dans Les Échos sa prudence sur ces questions.

En bref, on peut dire que la politique économique qui se dessine est encore un joyeux modèle d’exceptions et non d’anticipation, avant toute rénovation des statuts de chacun. Et un énième rapport qui ne fera pas bouger assez rapidement les choses.


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