Le froid aurait-il des vertus favorables au bon sens ? Après le Canada, c’est la police norvégienne qui fait savoir à l’industrie culturelle qu’elle ne souhaite plus dépenser l’argent public dans la chasse aux petits pirates du dimanche. L’avocat local de la MPAA, qui souhaitait s’en expliquer avec le gouvernement, s’est fait claquer la porte au nez. Ambiance.

Espen Tà
ndel est un avocat contrarié. Il n’avait probablement jamais vu ça de sa longue carrière au service des industries culturelles, et en particulier de l’industrie du cinéma qui emploie ses bons et loyaux services pour mettre fin au piratage des films en Norvège. La section criminelle de la police du pays a fait savoir à l’homme de Droit qu’elle n’avait aucunement l’intention de continuer à mettre ses forces au service de la lutte contre les internautes accusés de piratage. Elle préfère se concentrer sur les crimes les plus sérieux comme les viols ou les homicides. Une décision logique, déjà précédée par la Gendarmerie Royale du Canada, mais qui n’est pas sans conséquence dans les actions judiciaires de la MPAA au pays nordique.

En effet, sans la coopération des forces de police et du parquet, Tà
ndel se retrouve dans sa chasse aux pirates uniquement pourvu d’adresses IP qui ne sont attachées à aucun nom. Il ne peut attaquer au pénal et doit se contenter du civil. Or pour révéler l’identité cachée derrière l’IP, seule une procédure pénale peut aboutir à un ordre d’identification adressé aux fournisseurs d’accès à Internet. La situation est exactement la même qu’en Espagne, et a été confortée par la décision récente de la Cour européenne de Justice, qui laisse à chaque état membre le soin de définir sa propre politique en matière de protection de la vie privée, sans qu’elle fasse nécessairement primer le droit d’auteur. La Norvège, qui n’est pas membre de l’UE mais suit de près ses décisions en vue d’une entrée future dans l’Union, devrait prendre acte de cette décision pour se convaincre qu’il n’est pas nécessaire d’agir.

C’est peut-être pour cette raison que le ministère de la Justice norvégien a refusé purement et simplement de recevoir à sa demande l’avocat Espen Tà
ndel, qui souhaitait venir se plaindre auprès du ministre de la situation de blocage. Un camouflet sans précédent qui pourrait faire tâche d’huile tant les coûts judiciaires impliqués par la chasse aux pirates sont importants, et sans effet, dans tous les pays. Le téléchargement n’est plus vu par les gouvernements comme une infraction qu’il faut punir sévèrement, mais comme une évolution de la société avec laquelle il va désormais falloir composer. Certains pays sont juste plus rapides que d’autres dans ce constat.

Toutefois le gouvernement norvégien ne laisse pas totalement tomber l’industrie du cinéma. Le ministre de la Culture Trond Giske a assuré dans la presse samedi que bien que n’ayant pas l’intention de suivre le modèle Olivennes à l’image du Royaume-Uni ou de l’Australie, le gouvernement entendait « se concentrer uniquement sur ceux qui uploadent illégalement des films et de la musique », et qui le font massivement. « Nous travaillons étroitement avec l’industrie, et nous sommes bien conscients de l’argent qu’ils perdent à cause du téléchargement illégal », a tenu à rassurer le ministre de tutelle de l’industrie culturelle. Les petits pirates de tous les jours, qui téléchargent et partagent en quantité raisonnable, devraient donc être laissés en paix.

Selon des observateurs politiques, la clémence du gouvernement pourrait aussi signer la prise de conscience de l’importance électorale du sujet chez les jeunes de 18 à 30 ans. Le parti majoritaire au pouvoir craindrait en effet de perdre les votes des jeunes s’ils adoptaient une politique trop sévère à l’encontre du P2P.


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