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Quand le CSA bannit une grande partie de l'humour noir

Le CSA a mis en demeure Canal+ après la publication d'un sketch dont il n'a pas voulu saisir l'humour noir, et donc le second degré. Une censure du politiquement incorrect qui tend à se généraliser dans les médias traditionnels, et que le CSA rêve d'imposer aussi sur Internet. Il sait déjà comment s'y prendre.

Selon la définition qu'en donne Wikipedia, l'humour noir est "une forme d’humour qui souligne avec cruauté, amertume et parfois désespoir l’absurdité du monde, face à laquelle il constitue quelquefois une forme de défense". L'encyclopédie collaborative ajoute qu'il "consiste notamment à évoquer avec détachement, voire avec amusement, les choses les plus horribles ou les plus contraires à la morale en usage".

En clair, le principe-même de l'humour noir est de choquer en brisant des tabous. Parfois pour provoquer un rire libérateur dans un climat de gravité, comme lorsque Stéphane Guillon se permet de rire du crash de Rio-Paris une semaine après le drame. Parfois pour provoquer une réflexion sur une situation que l'humoriste veut dénoncer, comme lorsqu'Albert Dupontel se moque d'un mort d'accident de la route un peu trop pressé, qui se permet d'engueuler Dieu.

C'est dans cet esprit que Canal+ avait diffusé le 20 décembre 2013 un sketch, dans Le Débarquement 2, sur les victimes du génocide du Rwanda. Parodiant les émissions "Rendez-vous en terre inconnue" et "La parenthèse inattendue" de Frédéric Lopez, le sketch mettait en scène un rescapé Tutsi, et se moquait (pour le dénoncer) des blancs occidentaux qui observent le génocide rwandais avec un détachement cynique.

"J'aimerais qu'on parle du malheur d'Honoré. Honoré a vécu des malheurs, et j'aimerais qu'il en parle, qu'il parle de sa terrible aventure... pendant qu'on mange", disait l'animateur.

Flirtant par obligation en permanence avec la ligne rouge, tout auteur de sketch d'humour noir prend le risque de ne pas être compris, et surtout de voir son texte interprété au premier degré. C'est ce qui est arrivé aux comédiens de Canal+. Des spectateurs se sont ligués pour demander au CSA de sévir.

Loin de protéger l'humour noir au nom de la liberté d'expression, le CSA a décidé de leur donner raison, en s'engouffrant dans la brèche ouverte avec fracas par le Conseil d'Etat dans l'affaire Dieudonné : l'atteinte à la dignité humaine

"Le Conseil a considéré que certains propos tenus dans cette séquence portaient atteinte à la dignité de la personne humaine, en dépit du genre humoristique auquel elle entendait être rattachée", explique le CSA qui avait déjà décidé d'interdire la quenelle à la télévision au nom des "valeurs d'intégration et de solidarité qui sont celles de la République". Dans sa décision, le CSA dit très explicitement qu'il refuse de prendre en compte le contexte des phrases litigieuses :

Un des personnages, relatant ses démarches pour adopter un enfant rwandais, a indiqué que la famille de ce dernier avait été retrouvée, l’obligeant ainsi à « en choisir un autre » et à demander « à voir la carte du village rasé, pour être sûr que tout le monde y était resté » ; qu’il est même allé jusqu’à s’écrier « Génocide, génocide » et que, malgré la qualification de génocide des exactions commises au Rwanda, « il y en a encore un paquet en pleine forme » : de tels propos sont en eux-mêmes et quel que soit leur contexte, attentatoires aux personnes frappées par un génocide.

En outre, un second personnage a interprété une chanson présentée comme étant de tradition rwandaise et inspirée de la comptine enfantine Fais dodo Colas mon petit frère en chantant « Maman est en haut, coupée en morceaux, Papa est en bas, il lui manque les bras », faisant ainsi une référence explicite, sur le mode de la dérision, à des corps de victimes décédées et de survivants mutilés.

Ce faisant, le CSA ne fait cependant que suivre la logique imprimée par l'arrêt du 16 février 2007 de l'assemblée plénière de la Cour de cassation qui, déjà à propos de Dieudonné, avait estimé qu'il était possible de juger les phrases incriminées non pas dans leur contexte, mais en elles-mêmes — dans cette affaire, Dieudonné avait été condamné pour avoir déclaré que "les juifs, c’est une secte, c’est une escroquerie", au cours d'un entretien dans lequel il expliquait auparavant que "juifs et musulmans pour moi, ça n’existe pas".

En décidant de mettre Canal+ en demeure, le CSA veut inciter la chaîne (et toutes les autres) à s'auto-censurer. Les chaînes de télévision devront éviter tout sketch dont un élément, "quel que soit son contexte", est susceptible de porter atteinte à la dignité humaine.

Avec une telle jurisprudence, Jérémy Ferrari aurait-il pu faire son sketch formidable sur l'adoption des handicapés, dans lequel il rappelle aux enfants qu'une "adoption coûte quand même 5000 euros, ce qui fait de vous un mauvais rapport qualité-prix" ?

Ou Les Inconnus auraient-ils pu faire leur sketch qui se moque d'un handicapé amputé des deux bras ?

Ou Desproges, faire son célèbre sketch sur les Juifs qui allaient à Auschwitz parce que le train était gratuit :

Importer la censure sur Internet : un plan de bataille déjà dessiné

A cette époque où la télévision est ainsi corsetée, Internet apparaît comme un espace de liberté débridée. Ce constat devrait inviter la télévision et son régulateur à remettre la censure en question, en réalisant qu'elle est contre-productive. Mais c'est l'inverse qui se produit. C'est Internet que l'on veut progressivement censurer comme la télévision.

Actuellement, quand des animateurs du service public expliquent très sérieusement qu'il est de leur devoir de ne pas inviter des "cerveaux malades" dont ils dressent eux-mêmes la liste, ils incitent les spectateurs lassés du politiquement correct à aller chercher les discours radicaux là où ils sont réduits à devoir s'exprimer, sans opposition, sur Internet. Pendant qu'une émission de Mots Croisés débarrassée de tout cerveau malade, dans laquelle 100 % des invités attaquent Dieudonné et justifient sa censure, fait 1,5 million de téléspectateurs, le même Dieudonné rassemble 3 millions de spectateurs pour chacune de ses vidéos sur YouTube. Si tant est qu'elle fut efficace un jour, la censure est plus que jamais contre-productive dans un monde où ce qu est censuré dans les médias traditionnels est recherché voire glorifié sur Internet.

Mais au lieu d'encourager le débat, au lieu d'accepter le risque démocratique que la ligne rouge soit parfois franchie, au lieu de faire qu'Internet n'apparaisse plus comme le lieu unique de l'échappatoire à la pensée unique, le CSA a comme programme de verrouiller Internet à son tour. Un programme vain, mais un programme tout de même.

Il y a un an, Michel Boyon confiait les clés du CSA à Olivier Schrameck en expliquant qu'il est "impossible que nous ne répondions pas à un souhait croissant des opinions publiques française et européenne, qui aspirent à une régulation des contenus audiovisuels privés sur internet". Il défendait l'idée de réguler aussi bien les vidéos professionnelles, ce qui est une idée soumise dans le rapport 2013 du CSA, que les vidéos personnelles.

L'idée du CSA est d'obtenir que les plateformes de diffusion de contenus comme YouTube ou Dailymotion signent avec lui des conventions de services culturels numériques, qui les obligeraient à se soumettre aux mêmes types de règles de censure que celles imposées aux chaînes de télévision. Les services conventionnés, labellisés, pourraient alors figurer dans les listes blanches des outils de filtrage dont le CSA avait parlé dès 2011.

Ces outils de filtrage sont ceux que la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) a renoncé à mettre en place, alors que la loi l'y obligeait. D'où le risque éminent de confier au CSA les pouvoirs de l'Hadopi. Le CSA n'aura pas les mêmes réticences à ne pas violer la neutralité du net, ou la même volonté de respecter certaines libertés.

Le jour où elle établira la liste des fonctionnalités que les outils de filtrage labellisés CSA devront avoir, il est à parier qu'il voudra les imposer chez les internautes par un filtrage par défaut, comme c'est déjà le cas en Grande-Bretagne.