Estimant que la rémunération des artistes-interprètes n'était pas traitée avec justice dans l'univers numérique, le rapport Lescure proposait la mise en place d'une gestion collective obligatoire, au détriment des grandes maisons de disques qui ont tout intérêt à préserver la négociation individuelle. Comme au temps de Nicolas Sarkozy, qui avait aussi reculé sur ce dossier, la ministre Aurélie Filippetti vient de leur donner raison. 

Mise à jour : Electron Libre révèle que la mission complémentaire sera confiée à Christian Phéline, un bon connaisseur de l'industrie culturelle, membre de la commission de contrôle des sociétés de gestion… et membre du collège de l'Hadopi.

Selon des sources proches du dossier consultées par Numerama, les artistes-interprètes seraient assez optimistes sur l'issue du dossier, face aux difficultés des majors à démontrer leur propre point de vue. Un rapport d'audit commandé par ces dernières à Ernst & Young devrait être fourni au gouvernement vers la fin du mois de septembre. Espérons qu'elle soit plus sérieuse que l'étude livrée par le même cabinet en 2011 pour défendre la protection des droits d'auteur.

Article du 28 août 2013 –

Si l'on parle continuellement du rapport Lescure sous l'angle des mesures anti-piratage et de la vraie-fausse mort de l'Hadopi, qui réjouissent l'industrie musicale et cinématographique, le travail réalisé par Pierre Lescure a également accouché de propositions qui hérissent les poils des producteurs de films et de musique. Parmi celles-ci figure le besoin de placer les artistes-interprètes sous un régime juridique proche de celui des auteurs, concernant leur rémunération.

Actuellement, la loi confie une grande part de la rémunération des chanteurs et des musiciens à la négociation individuelle, permettant aux maisons de disques d'user de leur poids pour imposer des conditions draconiennes aux artistes débutants, qui n'ont pas l'influence suffisante pour négocier à leur avantage. Si la loi impose le principe d'une rémunération proportionnelle, c'est-à-dire d'une participation aux recettes réalisées par les ventes de disques, aucun texte ne fixe de minimum sur ce pourcentage (il existe en revanche une convention collective pour déterminer le seuil des rémunérations dues pour l'enregistrement lui-même).

De plus les contrats de production sont rédigés de telle sorte que la rémunération de base proposée (généralement autour de 10 %) est amputée d'un ensemble de retenues de moins en moins justifiées, qui peuvent diviser par deux le montant réellement perçu. Par exemple avec les disques vinyles ou les CD, il était systématiquement déduit une part de disques invendus, cassés, ou d'envois promotionnels. Autant d'abattements qui sont parfois (voire souvent) restés dans les contrats portant sur les musiques vendues en numérique.

Sarkozy aussi, avait cédé aux maisons de disques

Dans une étude réalisée à partir de 662 contrats de production phonographique, l'ADAMI (qui gère les droits des artistes-interprètes) avait calculé que le taux théorique de rémunération, entre 8 et 10 %, était en réalité ramené entre 4,1 et 5,1 % une fois tous les abattements déduits.

En réaction, le rapport Lescure avait donc proposé d'imposer une gestion collective obligatoire des droits voisins, qui permettrait aux artistes de ne plus négocier individuellement leurs contrats, mais de le faire exclusivement à partir de négociations collectives, où tous les artistes auraient les mêmes taux de rémunération quelles que soient leur notoriété et leur maison de disques. Une manière d'inverser, ou au moins d'équilibrer, le rapport de force.

Evidemment, la mesure a été accueillie plus que froidement par les grandes maisons de disques, qui l'ont combattue. Et ils ont obtenu gain de cause, comme ils l'avaient fait auprès de Nicolas Sarkozy qui avait dû renoncer à cette proposition qui figurait aussi au rapport Zelnik, et qu'il avait pourtant reprise à son compte

En effet, dans une réponse à la députée socialiste Françoise Dumas, le ministère de la Culture prévient qu'il n'emboîtera pas le pas de Pierre Lescure sur cet aspect de son rapport. Tendant l'oreille aux producteurs de disques qui ont commandé leur propre contre-expertise pour contester les chiffres, la ministre Aurélie Filippetti estime que "l'analyse présentée par l'ADAMI et sur laquelle reposent les propositions du rapport Lescure ne permet pas de dresser un état des lieux exhaustif des équilibres économiques" mis en oeuvre.

Elle décide donc de renvoyer le dossier à une nouvelle "phase de concertation préalable au cours de laquelle une étude pourrait être confiée à une personnalité indépendante sur l'ensemble de la chaîne des droits et du partage de la valeur." C'est ce qu'on appelle ranger le dossier dans un tiroir.


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