Le Conseil constitutionnel a validé les élections législatives réalisées par Internet en juin 2012. Les sages ne nient pas l'opacité du système mis en place, ni même la possibilité que des failles aient pu altérer sa sincérité… mais refusent d'invalider une élection tant que la preuve de l'exploitation massive d'une faille n'a pas été apportée. L'opacité triomphe sur la transparence.

C'est une fin de non-recevoir totale, dont on doit s'inquiéter pour la bonne santé démocratique. Vendredi dernier, le Conseil constitutionnel a rejeté l'ensemble des griefs portés par la candidate UMP Marie-Anne Montchamp et par deux candidats du Parti Pirate, Pablo Martin Gomez et Alix Guillard, qui avaient demandé l'été dernier l'annulation de l'élection de députés des Français de l'étranger, élus grâce à un vote par internet.

Pour mémoire, le logiciel de vote par Internet utilisé par les électeurs des circonscriptions des Français de l'étranger avait été réalisé par une société espagnole, Scytl, qui considérait que son fonctionnement relevait du "secret industriel". Dans un arrêté ministériel, le Gouvernement avait prévu qu'il soit conduit "une expertise indépendante" réalisée… par un seul informaticien…. désigné par le gouvernement lui-même ! Or même réalisé en ces circonstances, l'audit n'a pas été rendu public !

Lorsque les représentants officiellement désignés du Parti Pirate, qui présentait des candidats dans les circonscriptions concernées, ont demandé à accéder au code source du logiciel qui sert à recueillir et comptabiliser les votes, l'accès leur a été refusé (lire aussi notre enquête sur l'opacité du vote électronique dans l'élection présidentielle).

Lorsque Numerama a publié un document démontrant comment était sécurisé l'hébergement de la plateforme de vote par Atos, Atos a menacé de porter plainte, provoquant heureusement un effet Streisand sur ce qu'il voulait cacher.

Oui c'est opaque, mais prouvez que c'est truqué

Le point d'orgue aura été la mise en oeuvre d'une faille de sécurité, qui a permis d'injecter un bulletin invalide dans le système de vote. Visible au moment du dépouillement, le faux bulletin aura permis de démontrer que le système proposé était faillible.

Mais de tout cela, le Conseil constitutionnel n'en a cure. Dans sa décision du 15 février 2012, le Conseil constitutionnel rejette les arguments au motif que rien n'est démontré. Il se satisfait de l'opacité totale du système de vote par internet, qui fait que justement, il est très difficile de démontrer l'existence d'une fraude ou même d'un bug. Dans un bureau de vote traditionnel, les électeurs eux-mêmes sont les contrôleurs ; chacun est libre de rester observer l'urne transparente et son contenu, de sa mise en place le matin jusqu'à son dépouillement le soir. Chacun peut vérifier qu'un seul bulletin est inséré par électeur, que l'identité de chaque électeur est vérifiée, que la liste d'émargement est signée, etc., etc. La confiance naît de la transparence.

Or concernant le vote électronique, le Conseil constitutionnel ne voit rien à redire, et livre un festival de déclarations ahurissantes de la part du contrôleur suprême des élections démocratiques. Extraits :

"Si MM. MARTIN et GUILLARD font valoir que le dispositif technique élaboré pour la mise en oeuvre du vote par correspondance électronique n'a pas été suffisamment sécurisé pour empêcher toute utilisation frauduleuse, ils n'établissent, ni même n'allèguent, que de tels faits ont été commis" (comment prouver ce qui est par nature caché ?).

"Si Mme MONTCHAMP fait valoir que certaines recommandations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés n'ont pas été mises en oeuvre dans la définition des modalités de vote par correspondance électronique, elle n'établit ni même n'allègue qu'une telle circonstance, à la supposer établie, a été de nature à affecter les résultats du scrutin" (qu'importent les recommandations de la CNIL ?).

"La circonstance, à la supposer établie, qu'un électeur de la 4ème circonscription est parvenu à exprimer par voie électronique, au second tour du scrutin, un vote en faveur d'un candidat ne figurant pas sur la liste des candidats autorisés à se maintenir à ce tour n'est pas susceptible d'avoir altéré la sincérité du scrutin" (elle prouve tout de même qu'il y a au minimum des doutes sérieux à avoir sur la sécurisation de la plateforme de vote…)

"Le dépouillement automatique des suffrages exprimés dans la 4ème circonscription a été initialement interrompu par la présence d'un vote ne correspondant pas aux paramètres retenus par le système, avant d'être recommencé, après que le bulletin en cause a été déclaré nul, dans des conditions de sécurité et de fiabilité conformes aux dispositions des articles R. 176-3 et suivants du code électoral" (il suffit de lire lesdits articles pour vérifier qu'ils ne disent rien ou pas grand chose)

"Aucune disposition n'imposait que fussent communiquées aux délégués des candidats des informations relatives au nombre d'identifiants non remis à leurs destinataires, au nombre d'authentifiants délivrés pour le premier tour ou encore au nombre et à l'identité des électeurs ayant opté pour le vote par correspondance électronique" (transparence, vous avez dit transparence ?)

"Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de faire droit aux demandes d'expertise et d'instruction supplémentaire présentées par les requérants, les requêtes de Mme MONTCHAMP et de MM. MARTIN et GUILLARD doivent être rejetées" (à la vue de tous les problèmes posés, vite, ne demandons pas d'expertise autre que celle diligentée par le gouvernement lui-même).

Rappelons que c'est le même Conseil constitutionnel qui avait validé les comptes de campagne de l'élection présidentielle de 1995, alors qu'il les savait truqués.


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