Des internautes français ont reçu ces derniers jours une lettre intimidante d’un cabinet d’avocats d’origine russe, inscrit au barreau de Paris, qui réclame 672 euros de « règlement amiable » à des internautes accusés d’avoir partagé sur les réseaux P2P un film pornographique. « La présente demande ne s’inscrit pas dans le cadre de la loi Hadopi », prévient le cabinet d’avocats, qui menace ceux qui ne payent pas de les traîner en justice. Les adresses IP avaient été collectées en 2010.

C’est le retour de méthodes que l’on croyait enterrées en France. Selon nos informations, plusieurs centaines d’internautes ont reçu ces derniers jours un même courrier émanant du cabinet AK Avocats, établi à Saint-Petersbourg et à Paris, qui leur demande de payer sous 8 jours la somme rondelette de 672 euros pour éviter un procès pour contrefaçon. Un procès que les abonnés concernés seront d’autant plus plus motivés à éviter qu’ils sont accusés d’avoir téléchargé un film pornographique.

« Notre cliente nous a remis un dossier dont il ressort que vous avez, sans autorisation, téléchargé et mis ce film à disposition des tiers sur un réseau « peer-to-peer ». En effet, votre adresse IP a été identifiée grâce à un logiciel spécialement développé à cette fin par une société, mandatée par les titulaires des droits, spécialisée dans la lutte contre le piratage d’œuvres audiovisuelles« , indique le courrier. Ce dernier indique une date de collecte de l’adresse IP, le nom du fichier et le nom du film piraté, mais ne précise pas ni le logiciel utilisé, ni surtout le nom de cette société qui aurait collecté l’adresse IP. Or en France, seule la société nantaise TMG est autorisée à collecter les adresses IP, et ce uniquement pour le compte de certaines sociétés d’ayants droit, qui à notre connaissance ne gèrent absolument pas les droits de sociétés de productions pornographiques.

« Elle a surveillé les réseaux d’échanges en détectant et en enregistrant de manière probante les téléchargements et mises à disposition de fichiers pour téléchargements illégaux« , affirme la missive.

Le cabinet demande de renvoyer une « déclaration sur l’honneur » de suppression du film piraté, ce qui revient à livrer soit-même la seule preuve valable d’un téléchargement illégal, et réclame paiement du prétendu préjudice. « Ainsi, vous voudrez bien adresser au Cabinet AK Avocats (…) dans un délai de 8 jours à compter de la réception de la présente (…) règlement de la somme de 672 euros par chèque« . Evidemment, il ne faut surtout pas céder à une telle demande.

« Dans l’hypothèse d’un envoi conforme dans les délais, (le producteur du film) considérera avoir été indemnisé à l’amiable du préjudice subi suite au téléchargement illégal de l’œuvre ci-dessus mentionnée et renoncera à faire valoir ses droits en justice. A défaut, nous vous informons que notre cliente nous a d’ores-et-déjà donné instruction de porter cette affaire sur le plan judiciaire et de prendre à votre encontre toutes mesures envisageables afin d’assurer la sauvegarde de ses droits« .

La méthode est très sensiblement la même que celle utilisée en son temps par l’avocate Elizabeth Martin dans l’affaire Techland en 2008. Elle avait alors été condamnée par le Conseil de l’Ordre, qui lui avait notamment reproché une « formulation aggressive destinée à provoquer des paiements », ce qui est moins vrai dans la lettre du cabinet AK Avocats, et l’absence d’invitation à consulter un avocat. Sur ce point, la lettre d’AK Avocats est à peine plus incitative. En Grande-Bretagne, les mêmes méthodes ont conduit au même résultat. L’avocat Andrew Crosslew, qui avait monté son cabinet ACS:Law et proposait les mêmes services, a été radié du barreau pour deux ans.

Par ailleurs, il est étonnant de voir que les adresses IP obtenues ont pu être liées à leurs titulaires respectifs par ordre du tribunal de grande instance de Paris du 19 mai 2010, les adresses IP ayant été collectées quelques semaines ou quelques mois plus tôt. C’est-à-dire il y a bientôt deux ans. Mais ce qui est plus inquiétant, c’est que malgré l’illégalité manifeste de la procédure, des fournisseurs d’accès à internet en France n’ont pas réussi à s’opposer aux demandes d’identification des adresses IP, ou pire, n’ont pas essayé. Ca avait été le cas dans l’affaire TechLand, où il n’y avait eu aucune opposition de formulée.

Contacté par Numerama, le cabinet AK Avocats justifie cependant le long délai par le fait que « la collaboration des FAI n’a pas été immédiate« , comme si les opérateurs avaient traîné des pieds pour accepter de livrer l’identité de leurs abonnés.

Reste enfin à voir qui a collecté les adresses IP. « Une société allemande« , nous indique AK Avocats. Mais l’importation d’adresses IP françaises depuis l’Allemagne est a priori interdite par la CNIL. « Nous sommes en Europe. C’est légal en Allemagne, mais c’est illégal en France, alors qu’est-ce qu’on fait ?« , s’interroge l’avocate que nous avons jointe.

La société Logistep, qui avait collecté les adresses IP pour Techland et que l’on soupçonne d’être encore derrière cette affaire, a été condamnée en septembre 2010 par la justice suisse, qui avait jugé illégale sa collecte d’adresses IP. Quelques semaines plus tard, le 3 novembre 2010, le tribunal allemand de Hambourg avait au contraire jugé que la collecte des adresses IP par Logistep depuis l’Allemagne était légale. Elle y a transféré ses activités.

En 2008, la CNIL avait rappelé pour l’affaire Logistep que « les traitements automatisés de données à caractère personnel mis en œuvre par un auxiliaire de justice (avocats) doivent faire l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL » et que « le fait, y compris par négligence, de procéder ou de faire procéder à des traitements de données à caractère personnel sans qu’aient été respectées les formalités préalables à leur mise en œuvre prévues par la loi est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 300.000 euros d’amende« .


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