François Bon, éditeur du site Publie.net, prévient qu’il va probablement fermer son site. Gallimard lui a demandé de retirer la traduction qu’il a faite lui-même d’un roman d’Ernest Hemingway. Le tout puissant éditeur français lui réclame même des dommages et intérêts pour les 22 exemplaires du livre distribués sur Internet.

Mise à jour : Contrairement à ce qu’affirmait François Bon, il semble que l’œuvre d’Ernest Hemingway soit bien passée dans le domaine public au Canada, mais pas aux Etats-Unis. Ce qui ferait, dans ce cas, que l’œuvre originale est toujours couverte par le droit d’auteur en France, légitimant ainsi l’action de Gallimard sur le terrain juridique. Selon toutes vraisemblances, le roman d’Hemingway publié en 1951 est couvert jusqu’au 1er janvier 2047 aux Etats-Unis, et donc en France. Ce qui pose, en revanche, la question de la légitimité de durées de protection aussi longues.

Les majors de l’édition littéraire n’ont rien à envier à leurs homologues de la musique et des films en terme d’hyperpuissance écrasante. Gallimard, dont nous avions déjà vu qu’elle voulait faire bloquer les livres qui sont dans le domaine public au Québec mais pas en France, a poussé le passionné François Bon à arrêter d’enrichir son site Publie.net, qui propose plus de 500 livres numériques en téléchargement. Il menace même de le fermer dans les prochaines heures.

« Gallimard m’enjoint de faire disparaître ma traduction du ‘Vieil homme et la mer’« , raconte-t-il sur Twitter. « Je suis dégoûté complètement. Ce monde de chiens m’emmerde. Je n’ai pas de temps à perdre avec ce mépris, cette arrogance, cette hostilité, cette inéptie« .

La raison de cette colère ? « Gallimard diffuse depuis 50 ans une traduction lourdingue et approximative de Jean Dutourd du ‘Vieil homme et la mer’« , raconte François Bon. Or, profitant du passage d’Ernest Hemingway dans le domaine public aux Etats-Unis (mise à jour : en fait au Canada), l’auteur s’est livré à sa propre traduction, « entièrement originale« . « Un projet de vie ancien« , raconte-t-il.

C’est cette traduction, la sienne et non celle de Jean Dutour dont Gallimard détient les droits, qui est diffusée sur Publie.net.

Mais Gallimard ne l’entend pas de cette oreille, et réclame tout de même des dommages et intérêts pour tous les « exemplaires » du livre d’Hemingway téléchargés sur Publie.net. Soit 22 exemplaires. De quoi justifier effectivement les foudres de l’éditeur !

« J’ai mis en ligne la semaine dernière ma propre traduction de Le vieil homme et la mer. Vingt-deux exemplaires exactement en ont été téléchargés. Ce matin, M. Antoine Gallimard, adresse rue Gallimard, Paris VIIe arrondissement, officier de la Légion d’honneur, président du Syndicat national de l’édition, membre du Conseil d’administration de la Bibliothèque nationale de France, demande le retrait immédiat de cette traduction, et réclame des dédommagements« , complète François Bon sur son blog.

« J’ai autre chose à faire de ma vie. Ce monde de puissants et de goujats m’insupporte. Je suis à bout de forces et c’est trop d’insultes – je recommencerai autre chose ailleurs, plus tard« .

Notons qu’il est étrange que Gallimard trouve la moindre justification juridique à sa demande. Hemingway, qui était américain, est dans le domaine public aux Etats-Unis. Or, l’article L123-12 du code de la propriété intellectuelle dispose que « lorsque le pays d’origine de l’œuvre est un pays tiers à la Communauté européenne et que l’auteur n’est pas un ressortissant d’un Etat membre de la Communauté, la durée de protection est celle accordée dans le pays d’origine de l’œuvre« . Que les traductions des deux traducteurs aient des similarités est une évidence qui ne devrait pas empêcher la réalisation de traductions concurrentes à celle de Gallimard, dès lors que l’œuvre originale est dans le domaine public.

Rappelons aussi que Gallimard n’avait pas eu le même empressement à faire respecter ses droits d’auteur lorsque Patrick Poivre d’Arvor s’était trouvé en flagrant délit de plagiat pour une biographie… d’Ernest Hemingway.

« Les éditeurs n’aiment pas les affaires de contrefaçon. La plupart du temps, elles se règlent à l’amiable« , disait alors une juriste de l’éditeur. C’est cela.


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