Le tribunal de commerce de Paris a condamné Google à verser 500 000 euros de dommages et intérêts à une entreprise française de services de cartographie, pour avoir proposé Google Maps gratuitement aux mêmes clients, en abusant de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche et de la publicité en ligne. Les juges ne sanctionnent pas la gratuité en tant que telle, mais l’exploitation qu’en fait Google pour écarter la concurrence.

C’est un jugement qui pourrait remettre en cause toute la stratégie et tout l’empire de Google s’il était confirmé en appel et en cassation. Le tribunal de commerce de Paris a condamné mardi le moteur de recherche à verser 500 000 euros de dommages et intérêts à la société Bottin Cartographie, pour avoir abusé de sa position dominante en imposant Google Maps au détriment des produits concurrents.

Contrairement à ce qui a été trop vite analysé ci et là, le tribunal ne condamne pas Google uniquement parce qu’il aurait osé proposer gratuitement l’API de Google Maps aux entreprises qui l’utilisent, alors que les services similaires de Bottin Cartographie étaient payants. Le tribunal n’est pas le juge des modèles économiques. Les juges condamnent Google parce qu’il a abusé de sa position ultra-dominante sur le marché des moteurs de recherche pour imposer son service, la gratuité n’étant qu’un instrument parmi d’autres utilisés pour anéantir la concurrence.

Pour qu’il y ait abus de position dominante, il faut en effet d’abord démontrer qu’il y a bien une position dominante sur le marché, puis qu’il y a un abus de cette position pour écraser la concurrence. C’est exactement ce que fait le tribunal :

  • Il rappelle tout d’abord que « les sociétés Google détiennent incontestablement en France un monopole de fait sur le marché des moteurs de recherche » (environ 90 %), et que « cette situation engendre une position également dominante sur les marchés connexes que sont ceux de la publicité et de la cartographie« . Notamment parce qu’une « recherche sur le moteur GOOGLE aboutit à la présentation d’une carte GOOGLE MAPS, et que cette systématisation influence définitivement les entreprises clientes, ces dernières estimant à juste titre que le choix de l’API GOOGLE MAPS gratuit favorisera leur référencement naturel sur le moteur de recherche GOOGLE » (pour mémoire, comme nous l’avions démontré à l’occasion de la polémique OpenStreetMaps, une recherche du type « Plombiers Paris » renvoie les résultats hors-Google à 900 pixels sous le haut de page, ce qui les rend concrètement invisibles à la plupart des utilisateurs) ;
  • que « le prix de vente (égal à zéro) du module de cartographie des sociétés GOOGLE ne permet pas de couvrir le coût de revient nécessairement exposé pour l’élaboration et la distribution des produits« , notamment parce que « les parties au présent litige sont dans l’obligation de s’acquitter, auprès de fournisseurs spécialisés, des droits d’utilisation des données géographiques (ou vues aériennes) nécessaires à leurs créations » ;
  • que « l’Autorité de la Concurrence considère que la preuve de la volonté d’éviction résulte de plein droit de la pratique, par une entreprise en position dominante, de prix de vente inférieurs aux coûts variables« , et donc que Google utilise la gratuité du service pour écarter ses concurrents ;
  • Que cette gratuité n’est possible que parce que Google lie la cartographie aux publicités ciblées qu’il propose sur son moteur de recherche, où il est en situation dominante ;
  • Que « le comportement des sociétés GOOGLE aboutit à l’éviction de tout concurrent (exemple MAPORAMA) mais en outre s’inscrit à l’évidence dans le cadre d’une stratégie générale d’élimination » ;

Ca n’est donc pas seulement la gratuité du service Google Maps qui vaut à Google d’être condamné, mais l’intégration de Google Maps aux autres services de Google, sur lequel celui-ci est en position dominante. Dis autrement, Google n’aurait pas été condamné si son API avait été payante, ou si Google Maps n’avait pas été si profondément intégré aux résultats du moteur de recherche ou à ses liens sponsorisés.

C’est également le problème que nous avions soulevé s’agissant de Google+ et de son bouton +1, imposé aux éditeurs par la crainte d’une perte de référencement naturel en cas de résistance. C’est aussi le problème soulevé à Bruxelles par les comparateurs de prix qui se sont trouvés soudainement déclassés par Google, lequel n’a pas hésité à mettre en avant son propre moteur Google Shopping dans les résultats proposés aux internautes.

Le mélange des genres entre d’un côté la recherche de services et de contenus, et de l’autre l’édition de services et de contenus, ne peut qu’aboutir à des abus, globalement néfastes pour l’économie. Comme nous l’avions expliqué dans un article qui a fait polémique, Google a une responsabilité inédite d’agent économique, dont la puissance peut écraser l’écosystème fragile des entreprises sur Internet. Avec plus de 90 % des recherches effectuées par les internautes en France, plus il renvoie vers ses propres services plutôt que ceux d’autres concurrents (notamment français), plus il détériore la compétitivité des services alternatifs et décourage l’entrée de nouveaux acteurs sur les marchés sur lesquels il est présent. Lesquels sont de plus en plus nombreux.

La décision du tribunal de commerce de Paris est donc sans doute incompréhensible pour la plupart des consommateurs, qui se satisfont très bien de l’intégration des excellents services de Google sur son non moins excellent moteur de recherche. Mais dans une vision plus large, cette décision n’est pas seulement salutaire, elle est nécessaire.


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