On l’a vu récemment avec la loi Loppsi qui a remplacé le mot « vidéosurveillance » par celui de « vidéoprotection », la bataille idéologique est souvent une bataille de mots. La sémantique est porteuse de sens. Dans cet esprit, l’Hadopi semble vouloir donner un autre sens au mot « pirate », qui n’impressionne plus grand monde.

Mise à jour : Le site officiel a ouvert vendredi, avec un glossaire légèrement revu et corrigé par rapport à celui révélé par Numerma. Entre autres corrections, les termes « (qui exploite) la négligence caractérisée de ses utilisateurs » ont disparu de la définition du pirate.

Article du 30 septembre 2010 – La présidente de l’Hadopi Marie-Françoise Marais l’a souvent répété, et nous-même l’avions écrit en gras comme la toute première de nos 10 bonnes raisons de dire non à la loi Hadopi : « elle ne vise pas les pirates ». En effet la riposte graduée ne cible pas les contrefacteurs, mais les abonnés à qui l’on reproche de ne pas avoir suffisamment bien sécurisé leur accès à Internet pour empêcher qu’il puisse être utilisé pour pirater.

Aujourd’hui – beaucoup plus qu’il y a quelques années, le terme « pirate » est banalisé. Notamment grâce aux différents Partis Pirate et autres The Pirate Bay qui n’ont pas eu honte de reprendre à leur compte le qualificatif qui désigne les internautes qui partagent des œuvres librement, et qui même le revendiquent. « Nous sommes tous des pirates« , avaient signé en 2005 une série d’artistes et de personnalités politiques dont Manu Chao, Matthieu Chedid, Bénabar, Jean-Louis-Aubert ou Ségolène Royal. C’était dans Le Nouvel Observateur, depuis dirigé – ironie de l’histoire – par un certain Denis Olivennes, auteur des accords qui ont présidé à la riposte graduée. « Je reconnais, Mesdames et Messieurs sur le net, que je suis un pirate !« , a lancé cet été Michel Sardou sur RTL. La bataille sémantique est en passe d’être remportée par ceux qui ont dé-diabolisé l’expression.

Dans le très riche glossaire de l’Hadopi, dont Numerama a eu connaissance, les termes « Pirater, Piratage, Pirate » reçoivent cette même définition, dont la fin est savoureuse :

Pirater est le fait de s’introduire illégalement dans le système d’un ordinateur généralement à l’insu de l’utilisateur pour observer, s’approprier ou détourner ou détruire les données. Internet offre de nombreuses possibilités au pirate : il peut hacker ou cracker un système, un logiciel, un site web, une messagerie, une connexion, un navigateur, un périphérique, une application… et invente de multiples techniques (insertion de lignes de code dans le code source, virus, phishing, spam, ver, cheval de troie, logiciel espion…). Il exploite les failles des systèmes informatiques et la négligence caractérisée de ses utilisateurs.

Ainsi le pirate n’est plus du tout désigné sous l’angle de la contrefaçon, mais sous celui de l’exploitation de la négligence caractérisée de l’abonné qui n’a pas sécurisé son accès à Internet, ou qui ne l’a pas fait avec suffisamment de diligence. Le pirate n’est pas quelqu’un qui télécharge illégalement, mais quelqu’un qui pour télécharger illégalement profite de la naïveté ou de l’incompétence des petites gens.

Ce qui fait réfléchir sur la politique pénale. Pourquoi préférer s’attaquer aux faibles d’esprit plutôt qu’à ceux qui profitent de leurs faiblesses ?

Bien sûr, personne en réalité n’est dupe. Le « négligent caractérisé » est bien vu par l’Hadopi comme celui qui télécharge illégalement, et donc comme le pirate. Mais elle ne peut pas l’affirmer, puisque tout le mécanisme de la riposte graduée façon Albanel repose sur cette construction juridique et sémantique absurde destinée à contourner la décision du Conseil constitutionnel de 2006, qui avait censuré la riposte graduée façon Donnedieu de Vabres. Laquelle visait bien les pirates en tant que téléchargeurs.

> Tout le glossaire (version provisoire)


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