C’est visiblement sans aucun respect pour les principes les plus fondamentaux de la justice qu’une dizaine d’internautes ont été coupés d’accès à Internet ces dernières semaines, sur demande de l’industrie du disque. Se soumettant aux principes de la Charte signée l’été passé, les FAI n’ont pas défendu les intérêts élémentaires de leurs clients, et ont procédé sans contestation aux coupures ordonnées. Quel avenir pour la sécurité juridique des internautes français ?

Internet et la justice traditionnelle font rarement bon ménage. Sur-couche de la société physique, le réseau des réseaux appelle à une autorégulation que les fournisseurs d’accès refusent de prendre en charge par crainte d’alourdir leur responsabilité. Les internautes eux-mêmes ont fait savoir au moment des débats sur la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LEN) qu’ils ne souhaitaient pas voir les FAI transformés en « petits juges ». Ainsi donc, aucun mécanisme autonome de régulation des conflits n’a pu voir le jour dans une société numérique qui en a pourtant besoin, et les juges se voient accordés des pouvoirs aux conséquences lourdes.

Sans aucun contradictoire, c’est-à-dire sans entendre d’arguments opposés, les juges de la société traditionnelle ont appliqué les remèdes de la société traditionnelle à un problème qui n’a, lui, rien de traditionnel. La SCPP a demandé au juge d’ordonner aux FAI la coupure de l’accès à Internet de certains abonnés. Sur quelle base ? Nul ne le sait. Il s’agit très probablement d’un relevé d’adresses IP opéré lors d’un transfert d’une œuvre protégée. Le juge, qui n’est pas expert en la matière, a pu fort logiquement conclure comme l’en invitaient les avocats de la SCPP que les titulaires de ces adresses IP étaient des contrefacteurs et qu’il était donc dans l’intérêt des ayant droits de leur couper l’accès à Internet.

La complicité des fournisseurs d’accès

Les fournisseurs d’accès à Internet auraient dû se soulever contre ces conclusions et contester l’ordonnance, en rappelant au juge floué qu’il est tout d’abord impossible de s’assurer que c’est bien le titualaire du compte d’accès qui était derrière l’ordinateur au moment de la transmission, et ensuite qu’il est techniquement possible de masquer son IP par une autre (ce que l’on appelle de l’IP spoofing). La qualité même des relevés ne semble pas avoir été contestée, alors que leur validité est mise en doute par la commission informatique et libertés.

Sans aucune chance de se défendre, une dizaine d’abonnés ont ainsi été condamnés d’exclusion du réseau. « Tout accusé a droit à se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix« , indique l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme. Ces internautes ci, accusés par l’industrie, n’ont pas eu ce droit. Ils ont été présumés coupables, alors que « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie« .

Dans notre analyse de la Charte signée le 28 juillet 2004, nous indiquions que « l’engagement numéro 6, qui a fait couler beaucoup d’encre, oblige les FAI à résilier ou suspendre l’abonnement d’un abonné dès lors que le juge l’ordonne sur demande des ayant droits« . Le processus normal de la justice, qui veut que les FAI contestent s’il y a matière à contester, a été totalement neutralisé par cet engagement para-contractuel, qui assure aux FAI la possibilité d’être demain les premiers revendeurs de contenus multimédia en ligne.

En parlant des FAI, des majors et du gouvernement, nous concluions cette même analyse par ces mots, aujourd’hui plus vrais que jamais :

« Un seul ennemi : l’internaute« 

Ceux-ni n’ont par ailleurs aucun moyen de répliquer commercialement puisque l’identité des FAI ayant procédé aux coupures n’a pas été révélée, ce qui empêche pour le moment toute résiliation massive protestataire…

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