Il est le premier vainqueur et la première victime du coup de théâtre de ce jeudi matin. Le Parti Socialiste est accusé par les lobbys et par l’UMP d’avoir manigancé les conditions du rejet surprise du projet de loi Création et Internet, contre les artistes. De la fermeté qu’il aura, ou pas, dépendra en grande partie l’avenir de l’Hadopi.

Surtout, minimiser l’évènement. Même si jamais depuis au moins un quart de siècle l’Assemblée Nationale n’avait rejeté un texte après sa révision en commission mixte paritaire, le gouvernement a rapidement défini sa stratégie pour parvenir contre vents et marées à faire adopter la riposte graduée par le Parlement. Elle se définit en deux axes : remettre le plus vite possible le texte à l’ordre du jour du Parlement en utilisant l’article 45 de la Constitution, et attaquer la prétendue fourberie du camp socialiste pour masquer les divisions internes sur le projet de loi.

Roger Karoutchi et Jean-François Copé, après un coup de fil passé à François Fillon, ont suivi la consigne. Ils ont assuré que le texte sera présenté en seconde lecture au Parlement dès la rentrée parlementaire, à partir du 28 avril. Après un vote négatif sur le texte issu de la commission mixte paritaire, et si le gouvernement décide de provoquer cette seconde lecture, l’Assemblée nationale a le dernier mot. Conformément à l’article 45 de la Constitution de 1958, « l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat« . Elle pourra alors examiner de nouveaux amendements, déposés par les députés, les rapporteurs ou le gouvernement. Avant d’être examiné en séance plénière, le texte devra donc une nouvelle fois passer devant les commissions saisies au fond et pour avis.

Plusieurs scénarios sont alors envisageables. Soit les députés UMP se renforcent sous les ordres de Nicolas Sarkozy pour éjecter tous les amendements et voter un texte proche de celui adopté par la CMP, soit ils prennent acte de leurs divisions et négocient les dispositions qui font le plus polémique dans leurs rangs : la substitution de la suspension de l’accès à Internet par une amende, l’amnistie pour les internautes poursuivis avant l’Hadopi, et le rejet de la « double peine », c’est-à-dire de l’obligation de continuer à payer son abonnement pendant la coupure de l’accès à Internet (si jamais l’amende n’est pas préférée).

Sur ce dernier point, c’est une bataille des lobbys qui se prépare. Les FAI refusent catégoriquement d’avoir à suspendre le paiement de l’accès à Internet, parce qu’ils savent très bien que cette disposition ouvre une boîte de Pandore extrêmement redoutée sur la tarification des accès ADSL.

De son côté, l’opposition a également plusieurs scénarios devant elle. Le Parti Socialiste, jusque là divisé entre les sénateurs favorables au texte (mais qui se sont abstenus ce matin) et les députés vivement opposés, pourrait rebondir sur l’évènement pour en faire un tremplin politique à quelques semaines des élections. Jean-Marc Ayrault, le président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale, n’a pas tardé pour demander au gouvernement de renoncer définitivement au texte. « Je demande solennellement, au nom des députés SRC, à ce que le gouvernement prenne acte de ce vote et renonce définitivement à ce projet« , a-t-il indiqué dans un communiqué. « Je souhaite qu’il n’utilise pas les mauvaises ficelles de la procédure parlementaire pour une nouvelle lecture qui s’apparenterait à un passage en force« .

Mais le Parti Socialiste trouvera-t-il la force de s’opposer vigoureusement aux lobbys, qui n’ont pas tardé à politiser l’échec. « L’absence de nombreux députés UMP conjuguée à une manœuvre organisée par le PS a permis ce résultat qui entrave inutilement la mise en place d’une loi pourtant indispensable à la survie de la diversité culturelle en France« , a ainsi vociféré l’UPFI, le lobby des labels (pas si) indépendants. Le résultat du vote en seconde lecture dépend en grande partie de la capacité du Parti Socialiste a rassemblé un maximum de députés, en sachant que les députés UMP sont nombreux à « voter par les pieds« , comme l’a dit Martine Billard, c’est-à-dire par leur absence à l’Assemblée.

Reste une dernière hypothèse, pour le moment exclue par le gouvernement : un abandon du projet de loi. La claque reçue ce matin après 40 heures de débat animé est historique, et suit trois votes consécutifs au Parlement Européen contre la riposte graduée. « L’Hadopi est morte politiquement« , a assuré le député socialiste Patrick Bloche. Le rejet inattendu du texte va galvaniser les troupes parmi les opposants à la riposte graduée, qui pourraient y trouver enfin l’espoir et l’énergie de manifester en masse si le gouvernement s’obstine et inscrit le texte pour un passage en force. Alors même que la censure du Conseil constitutionnel est pronostiquée par de nombreux observateurs, prendre acte du vote des parlementaires et de la pression populaire, et renoncer au texte, serait sans doute le plus sage. Mais ça n’est pas, aujourd’hui, la volonté de Nicolas Sarkozy.

Une seule chose est certaine, il faut s’attendre à une véritable guerre de communication des lobbys de toute part, d’une violence probablement inédite dans chacun des camps, qui musclera ses arguments. Et le PS devra avoir la carapace dure pour encaisser les coups portés par les partisans de l’Hadopi, qui lui feront peser toute la responsabilité de l’échec, s’il est confirmé.


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