À la demande de la presse, l’Assemblée nationale a adopté mardi un texte qui vise à protéger le secret des sources. Mais uniquement si la source s’adresse à la presse professionnelle, ce qui est contraire à toute logique à l’ère d’Internet, et à l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Mardi soir, l’Assemblée nationale examinait une proposition de loi socialiste sur « la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ». À cette occasion, le gouvernement a fait adopter un amendement qui intègre au texte une promesse faite à la presse, d’inscrire dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse une disposition qui garantit le secret des sources des journalistes.

Mais le texte, souhaité par les syndicats de journalistes et par les éditeurs de presse, est un mauvais réflexe corporatiste. Non pas s’il soit mauvais de protéger les sources, bien au contraire. Mais parce qu’il est anormal et même choquant d’avoir limité cette garantie aux seules sources qui s’adressent à des journalistes professionnels.

L’amendement dispose en effet que le « droit à la protection des sources » est limité à « toute personne qui, dans l’exercice de sa profession de journaliste pour le compte d’une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou d’une ou plusieurs agences de presse, pratique le recueil d’informations et leur diffusion au public ».

Le bénéficiaire du droit au secret des sources, la seule personne qui compte, c’est la source

Si vous êtes un internaute ordinaire qui veut lui-même diffuser en première main ses propres informations, ou un blogueur du soir qui a connaissance d’une information d’intérêt public et la divulgue, vous n’aurez pas le droit de bénéficier des dispositions de la loi amendée. Elles interdisent aux pouvoirs publics de rechercher la source de l’information divulguée, sauf dans le cadre d’enquêtes criminelles.

Ce faisant, la presse veut s’assurer d’être le seul filtre par lequel passe l’information à divulguer, et se targue d’y appliquer une certaine déontologie qui justifierait de bénéficier, en retour, de droits spéciaux.

Mais c’est faire peu de cas de ce qu’est le droit au secret des sources. Ce n’est pas le journaliste qui doit être protégé. Le premier bénéficiaire du droit au secret des sources, la seule personne qui compte, c’est la source elle-même. C’est la source qui prend un risque, lorsqu’elle fait connaître une information importante qu’elle détient. Et il n’y a donc fondamentalement et absolument aucune raison de ne pas protéger la source lorsqu’elle choisit de s’adresser à un blogueur amateur, plutôt que s’adresser à « la presse professionnelle ».

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L’avis de la Commission nationale des droits de l’homme

C’était d’ailleurs ce qu’avait rappelé la Commission nationale consultative des droits de l’homme en 2013 (CNCDH), sur le même sujet. « Protéger le secret de sources des journalistes ne tient pas à la nécessité de défendre un intérêt corporatiste des journalistes : c’est une garantie essentielle pour le fonctionnement de notre démocratie », avait-elle rappelé dans un avis du 25 avril 2013, constamment et honteusement ignoré.

« Dans la mesure où il contribue à l’information du public, le droit à la protection du secret des sources doit être reconnu à tous : aussi bien aux journalistes qu’à toute personne publiant des informations à titre simplement occasionnel. La limitation dans son principe même du droit au secret des sources aux journalistes professionnels apparaît inadaptée et injustifiée ».

Puisse le message être enfin entendu, lorsque la proposition de loi arrivera au Sénat.


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